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LIVRE TROISIÈME.

Le livre des Pensées, dans son inspiration première, se greffa en plein sur le miracle de la Sainte-Épine.

Non, il n’est pas vrai de prétendre, avec l’auteur du Discours sur les passions de l’Amour, que dans une grande âme tout est grand. Cela est bon à dire en causant devant Corneille ou devant M. d’Andilly, mais non pas devant Dieu, non pas même devant Du Guet ou La Bruyère.

M. de Saci le savait bien, lui qui voyait surtout dans l’événement extraordinaire un grand sujet d’humilité et d’abaissement. Pascal converti le savait de même, et il avait raison de le dire en même temps qu’il le prouvait par son exemple ; mais c’était dans un sens autre que celui qu’il se figurait.

Le principal et très-scabreux raisonnement de nos amis les Jansénistes, en cette occasion, consistait à s’emparer du fait surnaturel qui les intéressait et qu’ils ne mettaient pas même en question, à y voir une sorte de miracle-modèle qui devait démontrer tous ceux du passé, et à partir de là pour réfuter avec un air d’évidence les Athées et incrédules. « M. de Saci (nous apprend Fontaine), lorsqu’il parloit sur cela avec ses amis, leur disoit que, si l’on pouvoit douter de la justification de Port-Royal par ce miracle et par les autres (qui en étaient la répétition), il n’y auroit point de vérité dans l’Église que l’on ne pût obscurcir. Il ne craignoit point de dire que, si ces miracles ne concluoient point, il n’y en auroit point dont on se pût servir contre l’esprit contentieux et opiniâtre, et que tous ceux que Dieu a faits ou par lui-même ou par ses serviteurs seroient aisément éludés par les mêmes raisons… » Ainsi pleine et entière assimilation du présent miracle avec ceux qui constituient les plus redoutables mystères de la foi ; cet ex œquo est au fond de la pensée janséniste, soit que Pascal la revête et la rehausse de plus de mysti-