ment venu à la pensée[1] ; mais il fallait tout dire, et de Maistre ne l’a pas fait. J’ai cité, j’ai traduit de Jansénius telle admirable page sur l’Adam primitif, sur la volonté et la liberté dans Eden avant le péché : j’ai pu la comparer sans trop de désavantage avec Milton. Est-ce là du Hobbes ?
Tout ce qu’objecte de Maistre sur le fatalisme de Jansénius est affecté d’un singulier oubli : c’est que Jansénius, qui parle si magnifiquement de l’Adam primitif, ne se montre si triste et si rigoureux que pour l’homme déchu, — déchu en tout, et plus malade encore dans sa volonté que dans tout le reste. Or, l’homme est-il ou n’est-il pas déchu ? C’est ce qu’on peut demander de près à de Maistre. Et si cette chute est pour les croyants un article de foi, si de Maistre nous le crie tout le premier, d’où vient donc ce scandale que lui cause une doctrine au fond essentiellement chrétienne, augustinienne, et selon saint Paul, en la supposant même un peu outrée dans sa rédaction janséniste et précisant trop ce qu’il eût été mieux de laisser à demi obscur[2]?
Toute doctrine à fond chrétienne court risque de rencontrer, dans son appréciation de la nature humaine, des philosophies qui ont eu l’air de s’attacher à déshonorer purement et simplement cette nature, et qui l’ont proclamée mauvaise et misérable, sans en tirer d’autre conclusion. Est-ce une raison à un chrétien pour accuser le théologien profond d’être complice de ces philosophes, pour crier à la dégradation et à l’infamie ? La doctrine de Jansénius ne peut être dite
- ↑ Tome II, page 104.
- ↑ « Le plus grand péché contre la Grâce, c’est de lui trop accorder, » a dit de Maistre en pensant aux Jansénistes. Au point de vue chrétien, le mot me paraît plus frappant que juste ; il me semble (quoique je m’y connaisse bien peu) qu’il doit y avoir de plus grandes offenses à la Grâce que celle-là.