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PORT-ROYAL.

puis, voyez-vous, ce n’est pas là ma profession ; outra que je suis vieux, je n’ai jamais étudié la Théologie. » — « Le Pape n’est pas Théologien, il est Canoniste, disait à Saint-Amour le Père Ubaldino, général des Somasques : il Papa non è Teologo ; non è la sua professione : è Legista. » Innocent X avait certainement de lui-même quelque répugnance à entrer dans ce fond de subtilités, bien que le goût lui en vînt chemin faisant.

Les avocats augustiniens entendus dans cette audience finale, il semblait juste que le Pape prît de nouveau l’avis des théologiens consulteurs ; mais les cardinaux adversaires poussèrent à une conclusion prompte, et touchèrent le ressort de l’infaillibilité personnelle. Le Pape avait dit un jour à Saint-Amour en lui montrant son Crucifix : « Voilà mon conseil en ces sortes d’affaires. » Et en effet il répéta par la suite à M. Bosquet, évêque de Lodève, qu’à cette occasion le Saint-Esprit lui avait fait voir clairement la vérité, en lui dévoilant dans un moment les matières les plus difficiles de la Théologie : espèce d’infaillibilité d’enthousiasme qui parut une énormité à tous les Catholiques non ultramontains.

Dans une petite Congrégation intime, tenue le 27 mai, huit jours après l’audience solennelle, et où n’assistèrent que quatre cardinaux avec Albizzi, le Pape, s’il avait hésité jusque-là, passa outre, et la Bulle fut décrétée. Pendant ce temps, nos députés augustiniens étaient au dehors l’objet de congratulations interminables pour la gloire de leur action en cette grande audience. La pièce à leur égard fut complète, dans un pays, comme dit Retz, où il est moins permis de passer pour dupe qu’en lieu du monde[1]

  1. En apprenant l’issue de cette affaire, et après un moment de silence, la mère Angélique dit à M. Arnauld, qui était venu l’en informer, ces énergiques paroles : « Il faut que je vous dise