Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
308
PORT-ROYAL.

plus grossières dont on ait jamais infecté les oreilles des Chrétiens. — Ne m’obligez pas à les répéter ; songez seulement si vous oserez soutenir à la face du Ciel des pièces où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours défendue et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée ou toujours en crainte d’être violée par les derniers attentats… »

L’idée du Tartufe s’entrevoit ici à travers le pêle-mêle de l’anathème. Bossuet revient encore ailleurs sur Molière dans le courant de sa Lettre ; mais il passe toutes les bornes lorsque dans ses Réflexions sur la Comédie, publiées cette même année, il va jusqu’à dire :

« … 11 a fait voir à notre siècle le fruit qu’on peut espérer de la morale du théâtre, qui n’attaque que le ridicule du monde en lui laissant cependant toute sa corruption. La postérité saura peut-être la fin de ce poète comédien, qui, en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de Celui qui dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez !…  »

Si l’on a pu concevoir Bossuet combattant Molière, ce n’était certes point sur ce ton. Il semble qu’il y aurait toujours moyen pour un grand homme de faire son devoir sans paraître faire son métier. La postérité, mais non pas celle que présageait le puissant évêque, a aujourd’hui toutes pièces en main, et elle juge. Ce qui aggrave cette parole de violence et la rend plus impitoyable encore, c’est que, comme chacun sait et comme Bossuet le savait aussi, Molière une fois expiré et devenu par conséquent inutile à l’amusement de Louis XIV, sa veuve n’avait obtenu que par prière un peu de terre pour ses restes non refroidis ; que l’archevêque de Paris, M. de Harlai, si décrié pour ses mœurs[1], le même qui

  1. Les noëls satiriques du temps ne sont point articles de foi ;