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PORT-ROYAL.

Les Anciens aimaient la richesse ; ils l’aimaient comme ils aimaient toute chose, en la rehaussant par une idée de grandeur morale et de beauté. On n’a qu’à lire là-dessus l’admirable Olympique[1] de Pindare sur la richesse ornée de talents, et sur ce qu’elle suggère à l’âme de soins relevés et de voies lumineuses à la vertu, à une immortalité heureuse. La richesse ainsi comprise, c’est l’astre éclatant qui luit aux mortels et qui les guide à la vérité. Mais il en ressort trop clairement que, chez les Anciens, le pauvre n’avait pas la faculté de s’instruire de ces hautes doctrines qui perçaient l’avenir, et qui, seules, conduisaient après la mort une âme juste aux Iles Fortunées. Le pauvre rampait assujetti dans cette vie, et à la fois il restait exclu de toute initiation à l’autre. De nos jours, Goethe, le grand païen, et qui se souciait de toute beauté, de toute belle vérité, si ce n’est peut-être de l’antique vertu, pensait à peu près comme Pindare sur la richesse, et il plaçait l’idéal de la sagesse accomplie au faîte d’une noble opulence[2]. Le Christianisme, au contraire, tourna tout d’abord sa vue intime et son horizon du côté de la pauvreté. C’est de là, du creux de cette fosse, du fond de cette citerne sans eau, qu’il discerne mieux le Ciel et l’Étoile d’espérance. Il a dû naître, en effet, dans un temps de calamités, dans les rangs des pauvres et des esclaves, tellement qu’on a pu dire qu’en s’avisant du Christianisme, l’humanité a fait de nécessité vertu, si elle n’avait fait mieux encore, et si elle n’avait su tirer de cette nécessité une flamme, une ardeur, un amour. Pascal ressentit cette flamme-là au-

  1. La seconde, à Théron d’Agrigente.
  2. Se rappeler le passage de Wilhelm Meister : « Trois fois heureux ceux que leur naissance place aussitôt sur les hauteurs de l’humanité, qui n’ont jamais habité, jamais traversé comme simples voyageurs l’humble vallée où tant d’honnêtes gens agitent misérablement leur existence !… etc. »