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PORT-ROYAL.

à l’esprit tout son jeu et donne aux organes une certaine transparence. La pensée y acquiert et y conserve plus de délié ; elle s’y aiguise. Chez Érasme, Bayle et Voltaire, ne semble-t-il pas, en effet, que la finesse de la lame se fasse mieux sentir dans le mince fourreau ? Un penseur doué d’une organisation exquise, M. Joubert, est allé plus loin : « Les valétudinaires, a-t-il dit, n’ont pas, comme les autres hommes, une vieillesse qui accable leur esprit par la ruine subite de toutes leurs forces. Ils gardent jusqu’à la fin les mêmes langueurs ; mais ils gardent aussi le même feu et la même vivacité. Accoutumés à se passer de corps, ils conservent pour la plupart un esprit sain dans un corps malade. Le temps les change peu ; il ne nuit qu’à leur durée. » Et comme pénétré par le charme de sa langueur, il ajoute : « Il y a un degré de mauvaise santé qui rend « heureux. » Ne voyez-vous pas d’ici tout un charmant traité De Valetudine, qui pourrait se passer en dialogue auprès du chevet de Vauvenargues souffrant ?

Ceci nous rapproche de la pensée de Pascal ; continuons pourtant. Un des plus aimables et des plus modernes Anciens, Pline le Jeune, a écrit une lettre pour faire remarquer que nous valons mieux quand nous sommes malades. Cette lettre est piquante, elle est vraie, elle achemine au Christianisme. On m’excusera de la donner :

« Ces jours derniers, écrit Pline à Maximus, l’état de langueur d’un de mes amis me fît faire cette réflexion, que nous sommes meilleurs tandis que nous sommes malades. Car quel est le malade que l’avarice ou la volupté vient tenter[1] ? On n’est plus esclave des amours, on n’aspire plus aux honneurs ; on néglige les richesses, et, si peu qu’on ait, se croyant à la veille de le quitter, on s’en contente. C’est alors qu’on croit qu’il y a des Dieux, c’est alors qu’on se souvient 1.

  1. Nous retrouvons ici la même pensée, et presque les mêmes paroles, que nous venons d’entendre dans la bouche de Pascal.