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LIVRE TROISIÈME.

dernier vraiment des grands Saints, et déjà grand philosophe.

Est-ce donc là, en effet, la dernière forme de Sainteté pour le monde ? Cet enchantement des émotions religieuses, ce mystère d’élévation que l’homme porte en lui, et qu’il n’a jamais plus hautement atteint qu’au sein et à l’aide du Christianisme ; cet état supérieur et intime de la nature humaine ne saurait-il retrouver désormais sa première fleur, et reparaître dans sa perfection acquise, délivré des appareils compliqués que le droit sens désavoue ? Ne saurait-on retenir seulement le côté durable, éternel, celui qui tient aux instincts les plus tendres et les plus généreux du cœur, sans se forger des douleurs gratuites, et sans exagérer l’épreuve par elle-même si rude ? En tout, ne saurait-on avoir le Socrate sans les démoneries, comme dit Montaigne ? Ce qui est trop évident, c’est que jusqu’ici les modernes philosophes (à commencer par Montaigne), qui ont essayé de relever l’homme et de le faire marcher par ses seules forces, ont bien imparfaitement réussi. Voyez Rousseau tout le premier avec ses fiertés gauches, ses retours fastueux à l’héroïsme et ses sordides souillures ! Un moraliste amer, voulant exprimer cet empêchement, ce rabaissement selon lui, de la vertu moderne, s’est échappé à dire : « L’humanité antique n’avait pas encore été pliée dans la pénitence et dans le deuil ; depuis elle s’est relevée ; mais, en se relevant, elle a gardé le pli et la roideur dans le pli. » Le mot est dur, et je l’ai adouci encore ; mais il donne à penser[1]. La franche pu-

  1. Il y a dans l’original : elle a gardé le pli, et du noir dans le pli (sordes in ruga), car c’est l’hypocrisie surtout qui s’est logée avant dans l’homme durant ces siècles couverts. Un grand prédicateur jésuite du dix-huitième siècle, le Père de Neuville, voulant dénoncer cette misère d’hypocrisie que recèle le cœur de chacun, même des meilleurs, a dit : « Il n’est pas d’homme qui n’aimât