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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/400

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PORT-ROYAL.

ses sentiments jansénistes. Pour couper court à toute chicane et à toute demande de changement, Desprez se hâta, sur le conseil d’Arnauld, de mettre seconde édition à celle qui se débitait, et qui n’était encore que la première[1]. Au reste, l’heure était favorable, et l’orage d’aucun côté ne grondait plus. Cette publication des Pensées inaugurait bien pour Port-Royal une période dernière de plénitude et de gloire ; elle apportait une belle part à cette merveilleuse époque, encore jeune et déjà mûre, de la grandeur de Louis XIV. À cette date de 1670, le public possédait de Molière le Misanthrope et le Tartufe ; le poète n’avait plus, pour s’égaler lui-même encore une fois avant de mourir, qu’à donner les Femmes savantes. Bossuet nommé évêque, et tout éclatant de l’Oraison funèbre de la Reine d’Angleterre, reparaissait plus touchant dans celle de Madame. Bourdaloue, tout nouveau, remplissait la ville de ses Sermons. Racine se délassait par Bérénice entre Britannicus et Bajazet. Boileau, qui avait fait presque toutes ses Satires, abordait l’Épître, où il est supérieur, et préparait l’Art poétique, le code d’autant plus sage de ce siècle qu’il n’en avait pas devancé les chefs-d’œuvre. On avait les premières Fables de La Fontaine ; on avait les Maximes de La Rochefoucauld.

L’admiration qu’excitèrent les Pensées fut prompte et unanime. On en peut lire les témoignages dans une quantité de lettres adressées à la famille Périer. Ceux même qui étaient le plus prévenus en faveur du génie de Pascal y trouvaient leur attente surpassée. M. de Tillemont écrivait à M. Périer fils :

« Vous savez qu’il y a bien des années que je fais profession d’honorer ou plutôt d’admirer les dons tout extraordinaires de la nature et de la Grâce qui paroissoient en feu

  1. Lettre d’Arnauld à M. Périer, du 23 mars 1670.