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PORT-ROYAL.

autorité ordinaire. Mais on n’en peut rien conclure contre la portée ni contre le succès du livre. Pascal, après tout, n’avait besoin du brevet ni de Bossuet, ni de Fénelon, ni d’aucun autre. Si ces grands hommes s’abstiennent de le citer à titre d’apologiste chrétien, il faudrait voir si le Jansénisme aussi, dont son nom était marqué, n’entrait pas pour quelque chose dans cette réticence. Avec un peu plus d’indépendance encore qu’ils n’en avaient à l’égard des Puissances temporelles, ces grands esprits auraient peut-être rendu plus ouvertement et plus librement justice à leur généreux auxiliaire et devancier. Dans tous les cas, ce qu’on peut demander de mieux à ces hommes de haute race, c’est de ne point s’entre-choquer entre eux[1].

Madame de La Fayette disait (sans doute en souriant) que c’étoit méchant signe pour ceux qui ne goûteroient pas ce livre[2]. Et moi je dirai très-sérieusement : Si le mode d’argumentation de Pascal n’a pas été plus intelligemment repris et poussé par les apologistes chrétiens du dix-huitième siècle, ç’a été un méchant signe pour eux, le signe d’une controverse énervée. Il faut une Église qui soit bien en esprit selon saint Paul, pour apprécier Pascal comme défenseur.

Le petit volume des Pensées ne fit pas moins glorieusement son chemin ; il alla se grossissant peu à peu de ce qu’on découvrait de nouveau sur Pascal et qu’on ajoutait. L’édition de 1700 n’était guère pourtant que du même volume encore que la première, et à peine augmentée dans le texte. Dès août 1670, Nicole publiait, dans son livre De l’Éducation d’un Prince[3], des discours

  1. Bossuet contre Fénelon, Bossuet contre Malebranche, etc.
  2. Voir la lettre de Nicole au marquis de Sévigné (Essais de morale’, t. VIII, page 236), et, pour correctif, le jugement du même Nicole [Essais de Morale, t. II, page 325).
  3. Au tome II des Essais de Morale.