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PORT-ROYAL.

Voltaire, comme on peut croire, prit la chose tout autrement : il n’était pas homme à ranger Pascal parmi les fauteurs de la philosophie et des opinions nouvelles ; il était trop en avant lui-même pour commettre de ces bévues-là, il connaissait trop bien ses alliés naturels et ses adversaires. Le Père Hardouin avait essayé d’engager contre Pascal je ne sais quelle échauffourée d’arrière-garde, à laquelle personne ne fit d’attention que pour en rire : Voltaire comprit que c’était le grand rival qui gênait la philosophie, et il l’attaqua de front. Pourquoi alla-t-il s’attaquer à Pascal plutôt qu’à Bossuet ou à tout autre ? Voilà, selon moi, l’honneur singulier de Pascal, et la preuve qu’il est au cœur du Christianisme même, d’un Christianisme vif, intime, qu’aucune politique ne tempère et que rien ne masque. Voltaire encore jeune, qui n’a passé jusqu’alors que pour un poète très-spirituel et très-brillant, Voltaire sous ces airs légers poursuit un hardi dessein philosophique ; il veut renverser, écraser quelque chose qu’il hait et qu’il haïra de plus en plus, qu’il ira jusqu’à appeler infâme, et ce quelque chose est le Christianisme : il va droit à Pascal comme à celui qui le représente le mieux, — comme, dans l’attaque d’une place, on se porterait d’abord sur la tour la plus avancée et la plus en vue. Ici la tour dominante n’avait que des pierres superposées sans couronnement, sans ciment. N’importe : elle paraissait au loin défendre et commander le pays :

Me conseilieriez-vous, écrivait Voltaire à Formont[1], d’y ajouter (aux Lettres philosophiques) quelques petites réflexions détachées sur les Pensées de Pascal ? Il y a longtemps que j’ai envie de combattre ce géant. Il n’y a guerrier si bien armé qu’on ne puisse percer au défaut de la cuirasse ; et je vous avoue que si, malgré ma faiblesse, je pouvais porter

  1. Lettre de juin 1733.