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PORT-ROYAL.

de Dieu ; elles lui sont folie, et il ne peut comprendre, vu qu’elles se discernent spirituellement[1]. »

« Tâchons pourtant, dit-il, au risque d’essuyer les superbes dédains de nos Aristarques modernes, tâchons de leur rendre cette pensée intelligible. Il est certain que les esprits sont infiniment plus nobles que les corps ; et quoique M. de Voltaire ait calculé que la proportion entre son chien et lui est environ celle d’un à cinquante, je lui soutiens qu’il y a erreur dans ce calcul, et qu’assurément il a eu tort de se mettre si fort au rabais. Cependant, eussiez-vous joint aux talents de M. de Voltaire le puissant génie de Corneille, le goût exquis de Despréaux et la profondeur de Newton ; si la vraie vertu vous manque, vous vous trouverez, dans l’ordre réel des choses, fort au-dessous d’un homme qui croit la Religion et qui la pratique. Le malheur est qu’il y en a, comme dit Pascal, qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s’il n’y en avoit pas de spirituelles ; et d’autres qui n’admirent que les spirituelles, comme s’il n’y en avoit pas d’infiniment plus hautes dans la Sagesse. »

Ce sont là de nobles réponses. Ainsi, selon Pascal et d’après l’Apôtre, il y a trois degrés ou plutôt trois Ordres dans l’homme : l’Ordre animal ou charnel ; l’Ordre spirituel ou intellectuel, qui en est profondément distinct ; et enfin (ne l’oublions pas) un troisième Ordre non moins distinct, et qui réclame une création non moins à part, l’Ordre de charité, qui est engendré au sein de l’esprit par la Grâce. Or, tandis que Pascal met des séparations absolues et comme des abîmes entre chacun de ces états, Voltaire les confond et les brouille tant qu’il peut, méconnaissant tout à fait le dernier, et réduisant l’Ordre spirituel à n’être qu’un accident plus ou moins développé de la base première.

De sorte que, là où Pascal admet une triple intervention divine, une triple création, Voltaire en admet une

  1. Saint Paul, Première Épître aux Corinthiens, chap. II, 14.