Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
410
PORT-ROYAL.

su trouver alors parmi eux une plume de cette valeur philosophique, ni un aussi bel esprit, comme ils l’appelaient[1]. Lorsqu’un siècle plus tard, et après bien des vicissitudes, Pascal eut de nouveau besoin d’être défendu contre des attaques tout autrement ménagées et pradentes, il est à remarquer que ce fut encore un Français du dehors, un de ces fidèles selon saint Paul, qui prit le plus directement en main la cause du grand moraliste chrétien. J’aime ici à joindre ces deux noms au bas du nom de Pascal : M. Boullier et M. Vinet.

M. Boullier d’ailleurs fut peu lu en son temps. On avait dès lors l’habitude à Paris de ne lire que ce qui en vient ou ce qui en a le cachet. Les Remarques de Voltaire firent fortune. Jusque-là tout le monde avait admiré Pascal sans trop examiner ; à la suite de Voltaire, bien des gens tournèrent en un clin d’œil, et prétendirent ne s’être jamais fait illusion sur les défauts des Pensées. Ce ne fut pas du moins le généreux Vauvenargues qui suivit le torrent : à côté de Voltaire, il continua de défendre et de proclamer en Pascal l’homme de la terre qui savait mettre la vérité dans un plus beau jour ; mais cette protestation du jeune sage n’eut point d’écho. L’opinion régnante fut renouvelée ; c’était l’ère de l’Encyclopédie qui s’ouvrait. Pour que cette immense tour pût manœuvrer plus à l’aise d’un certain côté et battre de près les murailles du Temple, il fallait démolir et raser, s’il se pouvait, ce bastion

  1. Les Nouvelles ecclésiastiques, dans le numéro du 23 octobre 1754, parlent de lui comme d’un « savant Protestant qui ne paroît avoir pour objet que la défense de la Religion contre les incrédules, qui ne laisse échapper aucun trait de Protestantisme, et qui écrit avec beaucoup de netteté et de politesse. » Clémencet, dans son Histoire littéraire manuscrite de Port-Royal, le compare tout net au savant Bullus, qui vengea les Pères des trois premiers siècles, et prit leur défense contre le Père Petau. Voltaire aurait bien ri de ce Bullus, et de se voir accolé au Père Petau.