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LIVRE TROISIÈME.

lui faisait dire : « Rien n’est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. » À ceux qui se piquaient d’une géométrie rapide et de s’entendre aux chances du jeu[1], il parlait leur langage, il opposait la règle des partis (et non des paris), genre de preuve qui aujourd’hui nous choque un peu en telle matière, et que les géomètres du dix-huitième siècle ont discutée au long, qu’ils ont peut-être réfutée ; mais, sans être un grand géomètre, il est bien clair que n’y eût-il qu’une chance terrible contre une infinité d’autres, si l’on y pensait longtemps, elle grossirait assez à nos yeux pour déterminer à tout hasard nos actions : ce qui sauve de la crainte, c’est l’irréflexion ; ce qui rassure, c’est le divertissement universel. Pascal revenait vite[2] à ces raisons morales plus hautes, plus pénétrantes, et y abondait. Le feu sacré débordait de ses lèvres. En tout ce moment il nous apparaît étincelant et beau de colère ; il est beau de la flamboyante beauté de l’Ange qui presse le lâche Adam, l’épée dans les reins, et le forcer d’aller.

  1. Comme M. de Méré.
  2. 11 revenait vite à un autre ordre de raisons, ou du moins nous l’y faisons revenir vite, faute de le pouvoir bien suivre dans tout cet ensemble de considérations qui appartient au Calcul des probabilités. J’ai vu des géomètres, M. Bienaymé de l’Académie des Sciences et d’autres, faire une bien plus grande part, chez Pascal, à cette application du calcul aux questions qui intéressent la destinée humaine. M. Léon Lescœur a écrit là-dessus une Dissertation remarquable (De l’Ouvrage de Pascal contre les Athées, Dijon, 1850), dans laquelle il s’attache à établir que ce n’est point incidemment, et par un aperçu hardi qui lui serait venu chemin faisant, que Pascal a introduit la règle des partis dans sa considération de la vie future, mais que ce règlement du parti, au point de départ, est chez lui une vue fondamentale et a toute la valeur d’une méthode suivie et rigoureuse. Je regrette que M. Lescœur n’ait pas donné la suite de sa Dissertation, et qu’un géomètre d’un esprit ouvert aux idées morales, et qui ne serait pas décidé d’avance à tirer à soi du côté de la géométrie, n’ait pas traité définitivement cet endroit, pour nous un peu obscur, de la pensée de Pascal.