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PORT-ROYAL.

Tel est, autant que nous l’avons pu saisir, le plan ramassé du grand ouvrage, ou plutôt tel est le discours comme nous venons presque de le recueillir en abrégé de la bouche même du Chrétien éloquent. S’ensuit-il que nous n’ayons rien à regretter, et qu’il faille, avec l’un des approbateurs (M. de Ribeyran), nous féliciter plutôt de ce que l’ouvrage n’est pas achevé, et de ce que nous pouvons ainsi discerner les pensées plus à fond et plus en elles-mêmes ? Je crois que ce serait beaucoup trop dire ; et maintenant que nous avons fait notre effort, il nous faut confesser notre faiblesse. Nous savons le but, la marche et la méthode de Pascal ; nous possédons l’esprit et l’accent de sa parole ; mais, littérairement (si ce mot est permis, et si je puis l’employer sans défaveur aucune), nous n’avons point idée de ce qu’aurait été ce livre des Pensées pour l’artifice de la composition. Le style général nous est connu ; et, à ne prendre l’œuvre que par cet endroit, il vaut mieux peut-être en effet qu’un second travail n’y ait point passé. Nous admirons dans ces notes rapides, dans cette conversation à la fois abondante et pressée, des hardiesses de ton que probablement l’écrivain ensuite aurait voilées. Nous lui savons gré de plus d’un trait qu’à la réflexion il eût peut-être effacé ou adoucie[1]. Pascal, en ce sens, gagne plutôt

    cer dans les voies praticables et la faire circuler authentiquement parmi les Chrétiens ; ç’a été proprement sa vocation : lui-même, pour un si grand bienfait, il mérite d’être salué « un médiateur entre le Ciel et la terre. » Toutes ces étrangetés, ces conceptions d’hier ou renouvelées du Moyen-Age sont aujourd’hui choses comme acceptées et légitimées parmi les Catholiques romains (et notez qu’il n’y a plus en France, à l’heure qu’il est, de Gallicans). Voilà ce qui triomphe, ce que les observateurs, curieux des contrastes, doivent aller chercher et lire en regard de Pascal, en se demandant comment il se peut faire que le même nom de Chrétiens s’applique également aux uns et aux autres. À vrai dire, il ne s’y applique point. Il n’y a pas d’élasticité qui aille jusque-là.

  1. Croyez-vous, par exemple, qu’en imprimant il aurait écrit