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LIVRE QUATRIÈME.

qu’ils commencent à avoir la raison, on ne remarque en eux que de l’aveuglement et de la foiblesse ; ils ont l’esprit fermé aux choses spirituelles, et ne les peuvent comprendre ; mais, au contraire, ils ont les yeux ouverts pour le mal ; leurs sens sont susceptibles de toutes sortes de corruption, et ils ont un poids naturel qui les y porte avec violence. Dans cet état, il est presque impossible qu’ils conservent longtemps leur innocence dans le monde, où ils ne respirent qu’un air corrompu ; cii ils ne voient que ce qui peut servir à les perdre ; où on ne leur parle presque jamais des vérités de l’Évangile, qui seules les pourroient délivrer de leur ignorance et de leurs mauvaises inclinations…
Lorsqu’ils entrent dans le Collège, ils y portent tous ces vices, ou ils les y apprennent ; et l’exemple d’un grand nombre d’autres enfants, qui ont déjà beaucoup de malice, sert à leur donner de la hardiesse à commettre des choses honteuses, qui ne leur paroissent plus telles, parce qu’elles sont ordinaires. Je n’accuse point les maîtres d’avoir part à ces dérèglements ; mais, s’ils veulent eux-mêmes rendre témoignage à la vérité, ils avoueront que, quoi qu’ils fassent, ils ne les peuvent empêcher. Ceux mêmes qui ont la meilleure intention, sont la plupart chargés de trop d’écoliers pour pouvoir veiller sur tous et sur toutes leurs actions ; et cependant plusieurs enfants ne peuvent être longtemps ensemble, quand personne ne veille sur eux, sans tomber en beaucoup de désordres, qui croissent avec l’âge.
« C’est une maxime de l’Évangile qu’ayant un ennemi qui ne dort jamais, nous sommes obligés, pour lui résister, de veiller toujours ; et qu’aussitôt que nous ne le faisons pas, il entre dans notre cœur comme dans un lieu abandonné, et y fait ce qu’il lui plaît : mais comme les enfants ne sauroient veiller sur eux-mêmes, ni sur leurs sens qui sont comme les portes de leurs cœurs, ils ont besoin que l’on veille pour eux, et ils ne peuvent pas être longtemps sans tomber entre les mains de leur ennemi, s’ils n’ont une garde fidèle qui les accompagne continuellement, et qui ait soin d’ôter de devant leurs yeux et leurs pieds tout ce qui peut leur être une occasion de chute. Aussitôt que les brebis sont abandonnées de leur pasteur, elles deviennent la proie des loups ; mais les enfants deviennent même des loups les uns