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LIVRE QUATRIÈME.

espérer de pas un d’eux, à cause de leur âge ; qu’on voyoit tous les jours dégénérer ceux qui paroissoient bons dans leur enfance, et ceux qui ne témoignoient rien de bon étant enfants se régler à mesure qu’ils croissoient ; que c’étoit du bled en herbe qui trompait tous les jours en bien et en mal…
« Il me recommandoit souvent de n’être pas trop exact et de ne m’inquiéter pas trop ; que s’il y avoit aucune conduite où il fallût dissimuler, c’étoit celle des enfants ; qu’il falloit se contenter de les éloigner des fautes principales, fermant les yeux aux autres, quoiqu’elles ne parussent pas petites : qu’il les falloit peu à peu et par parties guérir, et avoir pour eux une charité humble et infatigable ; qu’autrement on se tuoit, et on ne leur servoit à rien.
« Il ne pouvoit se lasser de me recommander d’être fort tardif dans les avertissements et les répréhensions ; qu’en omettant une partie des fautes, on remédioit bien mieux aux autres, et que c’étoit plus par la prière que par les paroles que l’on pouvoit mettre ordre aux petits dérèglements que l’on vouloit arrêter ; que Dieu alors faisoit bien mieux connoitre quand il est temps de leur parler ; qu’on ne pouvoit connoître ces petites âmes qu’en s’accommodant à elles et en se proportionnant à leurs dispositions ; qu’autrement elles ne recevroient pas nos paroles… »

Ces recommandations de M. de Saci nous rappellent directement un beau mot de Montaigne, qui dit, en parlant des enfants, que « c’est l’effet d’une âme bien forte et bien eslevée de se pouvoir accommoder à ces allures puériles. » Montaigne ne voit que la générosité naturelle et la force de cette âme qui se proportionne et, au besoin, se diminue ; M. de Saci ne croit l’effort possible et le succès qu’en y faisant entrer la prière :

Enfin, il me répétoit sans cesse, dans les entretiens que j’avois avec lui sur ce sujet (comme croyant cet avis capital pour tous ceux qui ont des enfants à conduire, en quelque état que ce puisse être), qu’il n’y avoit point de vertu qu’on dût plus pratiquer avec eux que la patience et le silence, retranchant par la patience les répréhensions précipitées, et pre-