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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/618

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PORT-ROYAL.

quelle est si ordinaire. Le dedans du Père Massillon est plus fécond et plus riche. Le dedans du Père Maur est moins fécond et moins riche ; il l’est néanmoins, mais le dehors du dernier l’emporte de beaucoup par le son de la voix, la prononciation, l’action. L’onction des deux pénètre. Celle du premier est plus abondante et plus soutenue. Comme il craignoit hier la trop grande consternation de son auditoire sur les défauts de la vocation et sur la difficulté extrême de les réparer, il le releva et le ranima par une incomparable paraphrase de tout le Cantique de Jonas, qui le tint élevé à Dieu et comme transporté hors de la chaire assez longtemps les bras croisés et les yeux au ciel. Cette fin fut un vrai chef-d’œuvre. Ce fut un torrent de lait et de miel. Heureux qui s’en trouva inondé ! »

M. Vuillart a de grandes admirations pour un prédicateur plus ancien, également de l’Oratoire, le Père Hubert. Il le met au-dessus de tous pour la solidité, pour l’onction, pour la vertu chrétienne qui est dans toute sa vie et qui passe dans ses discours. Même après les grands éloges qu’il se plaît à leur donner, il continue de ne parler du Père Massillon et du Père Maur que comme venant après lui et à titre de jeunes talents qui promettent :

« Pour le Père Massillon et le Père Maur, c’est une réputation naissante que la leur. Elle se soutient bien jusques ici : et il y a grand sujet d’en espérer beaucoup pour la suite. Comme le Père Maur ne prêchoit pas aujourd’hui (mercredi 17 mars 1700), j’ai entendu le Père Massillon et j’en ai été encore charmé. C’est un prodige que la fécondité de ses vues pour la morale, sa pénétration dans l’esprit et dans le cœur humain, l’application heureuse et juste des exemples et des autorités de l’Écriture, son onction. Sa méthode est facile et naturelle. Ses preuves sont fortes. Son discours est vif, persuasif et pressant ; son air, modeste et mortifié. Ses élévations à Dieu, assez, mais point trop fréquentes, pénètrent l’auditeur qui ne peut ne pas sentir que le prédicateur en est lui-même pénétré. C’est un homme tout merveilleux. Nous sommes très-redevables à la Provence de nous avoir fourni deux sujets du mérite du Père Massillon et du Père Maur. Par ces fruits tout spirituels, elle n’est pas moins une petite Palestine pour nous et une figure du Ciel que par ses figues, ses muscats, ses olives, ses oranges, etc. »

On voit que cet ami de Racine n’était pas sans avoir l’imagination quelque peu riante. — Il est moins question dans les toutes dernières lettres que nous avons de lui des deux prédicateurs émules ; la Cour les enlève à la ville ; Versailles et le monde, ce sera peu à peu l’écueil de l’illustre Massillon :

« (23 mars 1700). La réputation du Père Massillon et du Père Maur croit de jour à autre, parce qu’ils font de mieux en mieux. Le roi a retenu le second pour l’Avent prochain, et le premier pour le Carême. Ainsi nous en serons frustrés à Saint-Étienne où il avoit promis, et ce grand bien sera différé pour nous. »

L’état général de la prédication à cette fin du siècle est très-bien