Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
625
APPENDICE.

rature de piété (car il en publiait aussi des Traités, sermons et discours), disait « qu’il servoit Dieu et le monde par semestre. »
Ces comparaisons ou parallèles qu’affectionnait le Père Rapin, de Démosthène et de Cicéron, d’Homère et de Virgile, de Thucydide et de Tite-Live, de Platon et d’Aristote, et qui sont ses Semestres littéraires, n’ont ni l’originalité ni la solidité qu’on y pourrait désirer ; mais ils sont agréables, et ils expriment quantité d’idées, ils renferment quantité de notions suffisamment justes et qui étaient déjà ou qui sont devenues depuis des lieux-communs. Il avait des amis plus en fond que lui et qui lui fournissaient des textes grecs (par exemple Tanneguy Le Fèvre, le père de madame Dacier) ; mais aussi le Père Rapin a trouvé de son temps des critiques sévères, plus savants et plus exacts qu’il ne l’était. Bayle et Gibert ont parlé de lui sans trop de faveur, bien qu’avec impartialité. Gibert conclut en ces termes son article sur Rapin : « Quelque défaut qu’on découvre dans notre auteur, il sera encore vrai de dire que, s’il ne donne pas toujours les véritables règles de l’Éloquence dans ses principes, il en donne le goût par sa manière de dire les choses. » C’est dans un de ses confrères, le Père Vavassor, que le Père Rapin a surtout rencontré un censeur impitoyable et qui ne lui a rien passé.
Le Père Vavasseur ou Vavassor, comme on l’appelle par habitude (car il écrivait surtout en latin, et certes mieux qu’en français), était un savant du seizième siècle en retard, et qui offrait la singularité d’avoir, en 1675, un avis très-motivé sur les vers latins de Buchanan et de Bourbon, qu’il estimait fort virgiliens, et sur les deux Scaligers « qui avoient fait des vers tendres, délicats, admirables. » Que dis-je ? parmi les lyriques latins des derniers siècles, Rapin n’en ayant trouvé que trois qui s’étaient distingués, Sarbieuski, Cerisantes et Magdalenet : « Il ne parle point de Jonin, s’écriait Vavassor, Jonin qui vaut mieux que Cerisantes et Magdalenet tous deux ensemble. Il laisse là Balde, qui ressent mieux son poète qu’aucun de ceux-ci… » Jonin et Balde, en 1675, quel oubli ! Mais lui-même, Vavassor, avait fait IV livres d’Épigrammes latines, et Rapin, parlant de l’Épigramme, avait dit : « Une Épigramme vaut peu de chose quand elle n’est pas admirable, et il est si rare d’en faire d’admirables, que c’est assez d’en avoir fait une en sa vie. » Il rayait ainsi d’un trait de plume les IV livres du Père Vavassor. Inde iræ.

Quoi qu’il en soit, le Père Vavassor était un grammairien solide, sachant le grec comme peu, et le latin comme pas un. Il avait pris à partie Nicole pour sa Préface latine élégante, mais un peu légère de doctrine, mise en tête du Choix d’Épigrammes. Il prit au collet son confrère Rapin sans avoir l’air de le connaître, celui-ci ayant gardé d’abord l’anonyme, et il publia en 1675 des Remarques qui firent esclandre. Deux confrères aux prises ! Corsaire