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APPENDICE.


LA BASTILLE ET LES JANSÉNISTES


On n’en a jamais fini lorsqu’on séjourne sur un sujet. Le cours des années amène et fait sortir des documents nouveaux qui nécessairement ajoutent ou corrigent quelque chose à ce qu’on savait et à ce qu’on avait écrit. Dans une histoire comme la nôtre, il n’est presque pas de point qui ne soit sujet à ces sortes de retouches ou rétractations. C’est ainsi que l’ouvrage intitulé Archives de la Bastille, dont M. Fr. Ravaisson (de la Bibliothèque de l’Arsenal) a commencé la publication en 1866, nous offre une suite de papiers concernant les prisonniers d’État embastillés sous Louis XIV depuis l’année 1659 et, par conséquent, nous apporte quelques notions précises de plus sur la détention de quelques-uns de nos amis pour cause de Jansénisme. J’y trouve d’abord (page 205) une incarcération d’imprimeur libraire, le sieur Preveray ou Preuveray (et non Prémeré) : il avait été surpris, faisant imprimer sans permission trois ouvrages qu’il avait avoué lui-même venant de Port-Royal, dans l’un desquels se trouvait le huitième Écrit des Curés de Paris (octobre 1659). Le cardinal Mazarin était alors à Saint-Jean de Luz, et c’était M. le Chancelier Séguier qui avait ordonné l’arrestation. Le cardinal Mazarin l’approuve, et dans les instructions qu’il donne à Le Tellier, alors à Toulouse, on voit que, tout en paraissant résolu à pousser la sévérité contre Port-Royal, il tient à ce qu’on ait la main aussi à retenir et à brider les adversaires :

« Cependant, dit-il (17 octobre 1659), j’estime, si Sa Majesté le trouve bon, qu’il faut écrire de sa part à M. le Chancelier, après avoir approuvé ce qu’il a fait à l’égard dudit libraire, que Sa Majesté entend que lorsque quelque Jésuite s’émancipera de parler ou d’écrire en d’autres termes qu’il ne doit, on procède contre lui avec la même sévérité qu’on feroit contre un autre ; étant important qu’on reconnoisse que le Roi n’est prévenu d’aucune partialité sur ces affaires-là, et que Sa Majesté veut rendre une égale justice à tout le monde… »

C’est bien là l’esprit habituel du cardinal Mazarin, tel que nous le connaissons. Cette affaire de l’imprimeur Preveray se liait à des poursuites contre le sieur Petit ou Le Petit, libraire de Port-Royal, et qui était en estime auprès de ces Messieurs. Ce dernier avait échappé à l’arrestation en se cachant, et il avait été, comme on disait, sonné à son de trompe, trompeté par trois fois. On était dans les premiers jours de janvier 1660 ; mais lorsque tout le monde croyait que cette affaire était désespérée et la ruine de Le Petit inévitable, le sieur Vitré, un des plus considérables du corps des libraires et des imprimeurs et qui était en bonnes relations avec Le Petit, se porta