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LIVRE TROISIÈME.

de M. Pascal lorsqu’il écrivait sa première et sa seconde Lettre, il n’aurait pas tant fait de railleries sur ces nouveaux Thomistes, sur leur pouvoir prochain ou non prochain, sur leur Grâce suffisante qui ne suffit pas ; et que sans doute, en écrivant cette XVIIIe Lettre, il avait un peu oublié les premières, qui étaient de plus d’un an auparavant.

Mais il y a mieux : sans insister davantage sur des points de détail, disons d’un seul mot que Pascal fut accusé d’avoir, peu d’années après, changé tout à fait d’avis sur cette question, sur le sens qu’il fallait attacher à la condamnation des Propositions par le Pape, sur cette prétention de séparer le droit et le fait, et sur l’ensemble de la tactique de défense qu’on avait suivie dans cette affaire et à laquelle plus qu’aucun autre il avait participé. Ceci est devenu, sous la plume de l’abbé Dumas, un chapitre qui s’intitulerait bien : Histoire des Variations attribuées aux théologiens de Port-Royal. Laissons parler dans ses termes les plus nets le judicieux adversaire :

« À entendre M. Pascal dans la 17e et la 18e de ses Lettres, rien n’étoit plus solide ni plus clair que la distinction et la séparabilité du fait et du droit dans l’affaire des cinq Propositions : il n’y avoit, selon lui, nulle contestation sur le droit, mais uniquement sur le fait : c’étoit en cela seul qu’on accusoit le Pape de s’être laissé tromper, et qu’on refusoit d’acquiescer à sa décision ; M. Pascal et les Jansénistes la recevoient très-sincèrement au regard du point de droit, et s’y croyoient obligés ; le sens condamné parle Pape n’étoit nullement la doctrine de la Grâce efficace par elle-même ; cette doctrine étoit reconnue orthodoxe de tout le monde, jusque dans Rome et même des Jésuites. C’est ce qui sert de fondement à ces deux Lettres, et d’où M. Pascal prend occasion d’accuser le Père Annat et les Jésuites de passion, de malignité, de fourberie et de violence contre les Jansénistes.
« Mais il passa quelque temps après à l’extrémité opposée, qui étoit de croire que le sens de Jansénius, qu’il ne distin-