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PORT-ROYAL.

conformes au manuscrit, et par conséquent plus complètes dans leur incomplet que ce qui avait été publié avant ces derniers temps[1] ; il est aisé d’y suivre à travers la marche abrupte le train de l’idée fondamentale :

« Toutes les fois que les Jésuites surprendront le Pape, on rendra toute la Chrétienté parjure. »
« Le Pape est très-aisé à être surpris à cause de ses affaires et de la créance qu’il a aux Jésuites ; et les Jésuites sont très-capables de le surprendre à cause de la calomnie. » —
« S’ils ne renoncent à la probabilité, leurs bonnes maximes sont aussi peu saintes que les méchantes ; car elles sont fondées sur l’autorité humaine, et ainsi, si elles sont plus justes, elles seront plus raisonnables, mais non pas plus saintes. Elles tiennent de la tige sauvage sur quoi elles sont entées.
« — Si ce que je dis ne sert à vous éclaircir, il servira au peuple.
« — Si ceux-là se taisent, les pierres parleront.
« — Le silence est la plus grande persécution. Jamais les Saints ne se sont tus. Il est vrai qu’il faut vocation ; mais ce n’est pas des Arrêts du Conseil[2] qu’il faut apprendre si l’on est appelé, c’est de la nécessité de parler. Or, après que Rome a parlé et qu’on pense qu’elle a condamné la Vérité, et qu’ils l’ont écrit, et que les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d’autant plus haut qu’on est censuré plus injustement et qu’on veut étouffer la parole plus

  1. Je les cite, sauf une ou deux variantes, d’après l’édition de M. Faugère : avant que cette édition eût paru, je les avais déjà citées à Lausanne, dans mon Cours de 1837-1838, car je possède un petit manuscrit des Pensées dont M. Faugère a bien voulu tenir compte dans son édition, et qui m’avait appris sans tant d’effort, et avant ce grand bruit de découvertes, à peu près tout ce qui m’était utile pour mon objet.
  2. Ceci donne la date de ces pensées, qui sont postérieures à l’Arrêt du Conseil d’État qui condamna la traduction latine des Provinciales, en septembre 1660 : ainsi c’est bien des pensées finales de Pascal qu’il s’agit ici.