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PORT-ROYAL.

alphabets tous les noms marqués dans une carte, et jetoit air-si, dès l’âge de neuf à dix ans, les fondemens de cette science historique, où il a fait voir son extrême pénétration et son incroyable exactitude. »

Il est aussi question, parmi les jeux tels que billard, dames, tric-trac, échecs, qui variaient les récréations au Chesnai, d’un certain jeu de cartes : sur ces cartes on avait renfermé tout ce qui concerne l’histoire des six premiers siècles, c’est-à-dire le lieu et le temps auquel se sont tenus les principaux Conciles ; auquel ont vécu les Papes, les Empereurs, les grands Saints, les auteurs profanes. Nos Écoliers, tout en jouant, s’imprimaient ces choses dans l’esprit. Si M. deTillemont joua jamais à un jeu d’écolier, ce fut à celui-là ; et au besoin il l’aurait inventé.

Entre les auteurs latins, Tite-Live fut celui qui lui plut davantage. Et déjà, dans ces tables méthodiques, dans ces alphabets de noms qu’on a vu dresser à l’enfant, nous avons retrouvé comme les barres et les ronds de Pascal. L’annaliste, le chronologiste naissant s’essaye à classer ses objets. Les Décades furent son Euclide ; ce que Théagene et Chariclée étaient pour Racine ; ce qu’avaient été pour Montaigne enfant les Métamorphoses d’Ovide. À peine pouvait-il se résoudre à lire moins d’un livre entier du grand historien romain, chaque fois qu’il l’avait ouvert[1].

J’aime à saisir le premier éveil d’une vocation, le déchiffrement de l’instinct. Il y en a qui ont nié ce jeu de la faculté première : « Mon ami sir Josué Reynolds, dit Gibbon (dont le nom se lie par plus d’un rapport à celui de Tillemont), — Reynolds, d’après son oracle

  1. La Vie et l’Esprit de M. de Tillemont, par M. Tronchai : j’emprunterai continuellement à cet excellent volume sans en avertir.