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PORT-ROYAL.

crimes. » En parlant ainsi, Tillemont s’exagérait à lui-même cette malice qu’il n’eut jamais. Sans nier certes tout ce qu’il dut de précieux et d’accompli à cette suite d’heureuses inspirations et à cette seconde nature qui s’appelle la Grâce, on sent foncièrement et primitivement qu’on a affaire en lui à un naturel philosophe[1].

Comme ses maîtres ne suivaient pas la méthode des Colléges, qui consistait à ne se servir que de dictées et de cahiers, ils le mirent tout d’abord aux sources, et lui firent étudier l’éloquence chez Quintilien, Cicéron et les grands orateurs anciens. Il apprit de même la logique dans l’Art de penser, que M. Nicole lui expliqua durant environ deux mois, une heure seulement par jour. On lui fit lire ensuite quelques ouvrages des philosophes modernes, sur lesquels il faisait des réflexions.

Cette habitude réfléchie était tout naturellement la sienne. La lecture des Annales ecclésiastiques de Baronius, qu’il commença dès ses premières années, lui donnait lieu d’adresser tous les jours mille questions à M. Nicole. Celui-ci crut dans le principe qu’il suffisait de répondre en deux mots, comme à un écolier ; mais les instances de M. de Tillemont lui montrèrent bientôt qu’il fallait quelque chose de plus pour satisfaire un si solide esprit. Tout instruit en histoire ecclésiastique qu’était Nicole, il s’y trouva plus d’une fois embarrassé ; et il disait lui-même agréablement qu’il ne voyait point venir M. de Tillemont, en ce temps-là, sans trembler de crainte de se trouver pris au dépourvu.

Bien des années après, les choses étaient remises à

  1. Son Épitaphe par Tronchai accuse à merveille cette disposition, ce tempérament fondamental : « Vitæ innocentia, simplicitate, æquabilitate, inter paucos laudabilis, a puero usque ad vitæ finem unus semper ac sibi constans, quotidie repetiit quod quotidie fecit… »