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LIVRE QUATRIÈME.

dans le courant du récit, marquent la séparation. Le lecteur studieux s’y oriente et s’y dirige : l’œil vulgaire t s’y accroche un peu. C’est, du reste, bien moins au public même qu’aux gens du métier, que Tillemont offre le résultat de son travail :

« La première vue de l’auteur dans ses études a été, dit-il, de s’instruire lui-même. Il y en a joint ensuite une seconde, qui a été de pouvoir aider ceux à qui Dieu auroit donné la grâce et la volonté de travailler à une véritable Histoire de l’Église, ou aux Vies des Saints. Il a voulu les décharger de la peine de rechercher la vérité des faits, et d’examiner les difficultés de la chronologie. Ces deux choses sont le fondement de l’histoire. Il arrive souvent, néanmoins, que les génies les plus beaux et les plus élevés sont les moins capables de se rabaisser jusque-là. Ils ont trop de peine d’arrêter le feu qui les anime, pour s’amuser à ces discussions ennuyeuses, plus propres à des esprits médiocres. »

Quel soin, dès l’abord, de se diminuer et de se rabaisser lui-même * I quelle charité toute respectueuse et nullement ironique pour les beaux génies ! Nous verrons tout à l’heure comment quelques-uns d’entre eux vont le lui rendre. Ainsi, tandis que les savants, même ceux qui sont le plus voués à l’étude désintéressée, veulent vivre et subsister, sinon pour le gros du public, du moins au regard des autres savants leurs confrères, Tillemont 1. C’est la remarque que fait en commençant l’auteur de l’extrait du Journal des Savants (10 juillet 1690) : « Il est rare qu’un auteur estime son ouvrage moins qu’il ne vaut, et qu’il en donne une basse idée. C’est pourtant ce que fait M. de Tillemont, à qui il ne tiendra pas que son livre (VHistoire des Empereurs) ne soit regardé comme la production d un esprit médiocre, qui n’a de l’exactitude que parce qu’il manque d’élévation, et qui ne s’est uniquement attaché à faire connoître la vérité que parce qu’il ne s’est pas trouvé capable de l’embellir. Le public lui doit la justice qu’il se refuse....»