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PORT-ROYAL.

n’a de désir que de s’anéantir en eux ; le Sic vos non vobis est son vœu, sa vocation. Il est arrivé, par un jeu bizarre et comme par une moquerie des choses, que ces matériaux, qu’il préparait avec tant de patience et de religion en vue d’un futur historien de l’Église, ont surtout servi à l’historien de l’Empire romain, au philosophe Gibbon, qui en a fait usage dans un dessein assez différent. Gibbon pourtant n’eut jamais le tort de méconnaître ses obligations envers le grand critique ecclésiastique : « Je me servis, dit-il en ses MémoireSj des Recueils de Tillemont, dont l inimitable exactitude prend le caractère presque du génie. » Et ailleurs, il déclare préférable la lecture d’une si savante et si exacte compilation à celle des originaux pour certaines parties de l’Histoire Auguste. Ces compilations de Tillemont, dit-il encore, le dispensent d’une trop longue et trop ingrate recherche à travers l’océan des controverses théoiogiques ; car « elles peuvent, à elles seules, être considérées comme un immense répertoire de vérité et de fable, de presque tout ce que les Pères ont transmis, ou inventé ou cru ^ » Au lieu de rappeler ces éloges si pleins de respect, M. de Maistre a mieux aimé citer un mot familier de Gibbon sur Tillemont : « C’est le mulet des Alpes ; il pose le pied sûrement, et ne bronche point.» Et, commentant l’éloge, il s’empresse d’ajouter : « A la bonne heure I Cependant le cheval de race fait une autre iigure dans le monde ^. »

Je doute que M. de Tillemont, soit quand il amassait dans le silence de toute sa vie, avec une application religieuse et une sincérité que rien ne rebutait, tous les faits de cette immense recherche qui semblait à ses amis 1. Miscellaneous Works of Edicard Gibbon (1796), au tome II, pages 596 et 80.

2. De l’Église gallicane, livre I, chap. v.