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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

dans ces détails, s’il y avait à rougir de demander un éclaircissement d’amitié à une personne comme vous. Hors ce point, je ne sais en quoi vous me faites des reproches. Pour moi, je vous l’avoue, je me croirais plutôt en droit de vous en adresser pour avoir cru aisément à une offense, sans vous en éclaircir auprès de moi, et pour avoir dit d’abord à beaucoup ce que j’aurais dû savoir de vous l’un des premiers. Si vous vous rappelez les circonstances, trop rares pour moi, d’une liaison que j’ai tant désirée et que j’ai bien moins cultivée que je n’aurais voulu, il doit vous paraître qu’elle a été de ma part toute de respect, et, j’ose dire, de déférence empressée, et fort peu exigeante en retour pour toutes choses, hormis un sentiment sûrement bienveillant de votre côté. Si dans cette dernière année je vous ai vu moins souvent que je ne le désirais, c’est que mes occupations étaient grandes, mes matinées prises ; ce n’est pas que je changeasse si volontiers d’amis, d’opinions, de principes, que sais-je ? car beaucoup de mes meilleurs amis ne se sont pas fait faute de s’inquiéter de moi, au point d’avoir et de manifester toutes ces craintes. Lorsque, dans l’isolement assez grand et dans l’étude où je vis de plus en plus, il m’est arrivé un peu tard quelque bruit de ces dires de mes amis. J’en ai plus été affligé qu’étonné, quoique j’en aie été étonné un peu, surtout de la part de certaines personnes : on a beau se croire une grande expérience des hommes, on persiste à se faire et à rêver des exceptions exprès pour soi tout seul. — C’en est assez, mon cher Béranger, pour vous poser fort incomplètement une question que vous saurez mieux préciser que moi : « Que me reprochez-vous à votre égard ? » Il est une chose à laquelle je tiens beaucoup, même dans l’éloignement entre amis et dans le relâchement des liens, c’est qu’il y ait et qu’il reste bienveillance réelle et souvenir affectueux, et sans amertume. C’est parce que j’ai senti ce besoin que je vous ai écrit le mot que voici, en vous priant de l’excuser pour l’intention, s’il avait le tort de vous déplaire.

« Votre respectueux et dévoué,
« Sainte-Beuve.
« Ce 7 décembre 1834. »


Les explications données par Béranger réparèrent un peu les effets de la médisance et maintinrent de bons rapports entre nous, comme le prouve la lettre suivante, postérieure