Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/163

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aux conjectures de la famille, qui pria son hôte de s’expliquer à ce sujet. Austère, scrupuleux en morale, dépourvu d’une jeunesse entraînante, dévoré d’une sensibilité vague qu’il désespérait de fixer sur un choix enchanté, désireux avant tout de s’asseoir dans une existence indépendante et rurale, M. de Sénancour se laissa dire, et se crut délicatement engagé : on peut saisir quelques traits de ces circonstances personnelles sous l’histoire de Fonsalbe, au tome second d’Oberman. Il se maria donc en septembre 90, à l’âge de vingt ans ; et, dès ce jour, les devoirs nouveaux, qu’il acceptait par des motifs louables, ne cessèrent d’une manière ou d’une autre, quoique toujours noblement, de peser sur sa condition. D’opulents héritages, auxquels il était naturellement appelé, lui manquèrent. La Révolution française, le trouvant absent, le suspecta comme émigré : la révolution suisse le priva, du côté de sa femme, des ressources qui mainte fois lui auraient été précieuses. Il s’exposa, à diverses reprises, en passant les frontières pour venir visiter sa mère, restée à Paris. Il la perdit, ainsi que son père, vers 1796. Deux enfants nés de son mariage, sa femme atteinte d’une lente et mortelle maladie, les difficultés politiques et sociales d’alors, l’assujettirent, autant qu’il semble, à diverses nécessités qui contrariaient ses penchants. Nous n’insisterons pas davantage sur cette longue trace d’ennuis, de gênes, de désappointements monotones qui composent l’intérieur mystérieux de cette grave destinée ; nous n’en voulons plus montrer que les fruits.

Les Rêveries sur la nature primitive de l’Homme pa-