Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/164

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rurent en 1799[1]. L’auteur les avait composées deux ans auparavant, tout en se promenant chaque jour dans le parc d’un château où il passait quelques mois. Il ne les donne que comme des fragments d’un grand ouvrage qu’il médite et auquel il doit avoir renoncé depuis. Chose étrange ! la Révolution française, en grondant autour de lui, n’avait apporté aucune perturbation notable, aucun exemple de circonstance, à travers la suite de ses pensées. Le bruit grandiose des sapins et des torrents, le bruit de ses propres sensations et de sa sève bouillonnante, avaient couvert pour lui cette éruption de volcan dont il ne paraît pas s’être directement ressenti ni éclairé dans la déduction de ses rêves. Il continue donc, sans faire la moindre allusion à l’expérience flagrante, de poursuivre le Discours sur l’Inégalité des Conditions et l’Émile, de vouloir ramener l’homme au centre primitif des affections simples et naturelles. Ce qui domine dans les Rêveries, c’est le dogme absorbant de la nécessité, c’est le précepte uniforme de la moindre action. Le jeune sage avait débuté par le stoïcisme, il le déclare ; il avait voulu nier fièrement les maux, combattre absolument les choses ; il s’y est brisé. Sa science consiste désormais à discerner ce qui est proche et permanent, ce qui est facile et inévitable, à s’y ranger, à s’y retrancher comme à un

  1. Un ami de M. de Sénancour, à qui le manuscrit avait été communiqué, avait eu l’idée de les publier par livraisons, et il en parut en germinal an vi (1798) un premier cahier contenant les deux premières Rêveries. Cet essai de publication par livraisons n’eut pas de suite.