Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/173

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blancheur et semblable à un sommet neigeux que la lumière embrase sans jamais le fondre ni l’échauffer. S’il s’élançait, s’il disparaissait alors, ce serait presque en Dieu, comme Empédocle à l’Etna. Pas d’amour dans Oberman, ou du moins à peine un ressouvenir mourant d’une voix aimée, à peine une rencontre fortuite et inexpliquée près du Rhône ; puis rien, — rien, hormis les torrents de vague volupté qui débordent comme les émanations végétales des déserts. Certes l’invocation de Lucrèce ne surpasse pas ce que je veux citer : « L’amour doit gouverner la terre que l’ambition fatigue. L’amour est ce feu paisible et fécond, cette chaleur des cieux qui anime et renouvelle, qui fait naître et fleurir, qui donne les couleurs, la grâce, l’espérance et la vie… Lorsqu’une agitation nouvelle étend les rapports de l’homme qui essaye la vie, il se livre avidement, il demande à toute la nature, il s’abandonne, il s’exalte lui-même, il place son existence dans l’amour, et dans tout il ne voit que l’amour seul. Tout autre sentiment se perd dans ce sentiment profond ; toute pensée y ramène, tout espoir y repose. Tout est douleur, vide, abandon, si l’amour s’éloigne ; s’il s’approche, tout est joie, espoir, félicité. Une voix lointaine, un son dans les airs, l’agitation des branches, le frémissement des eaux, tout l’annonce, tout l’exprime, tout imite ses accents et augmente les désirs. La grâce de la nature est dans le mouvement d’un bras ; l’harmonie du monde est dans l’expression d’un regard. C’est pour l’amour que la lumière du matin vient éveiller les êtres et colorer