Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/174

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les cieux ; pour lui les feux de midi font fermenter la terre humide sous la mousse des forêts ; c’est à lui que le soir destine l’aimable mélancolie de ses lueurs mystérieuses. Cette fontaine est celle de Vaucluse, ces rochers ceux de Meillerie, cette avenue celle des Pamplemousses. Le silence protège les rêves de l’amour ; le mouvement des eaux pénètre de sa douce agitation ; la fureur des vagues inspire ses efforts orageux, et tout commandera ses plaisirs quand la nuit sera douce, quand la lune embellira la nuit, quand la volupté sera dans les ombres et la lumière, dans la solitude, dans les airs et les eaux et la nuit… Heureux délire ! seul moment resté à l’homme !… Heureux celui qui possède ce que l’homme doit chercher, et qui jouit de tout ce que l’homme doit sentir !… Celui qui est homme sait aimer l’amour, sans oublier que l’amour n’est qu’un accident de la vie ; et, quand il aura ses illusions, il en jouira, il les possédera, mais sans oublier que les vérités les plus sévères sont encore avant les illusions les plus heureuses. Celui qui est homme sait choisir ou attendre avec prudence, aimer avec continuité, se donner sans faiblesse comme sans réserve. L’activité d’une passion profonde est pour lui l’ardeur du bien, le feu du génie : il trouve dans l’amour l’énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur juste, sensible et grand ; il atteint le bonheur, et sait s’en nourrir… Je ne condamnerai point celui qui n’a pas aimé, mais celui qui ne peut pas aimer. Les circonstances déterminent nos affections ; mais les sentiments