Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/179

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le, si notre reproche sincère tombe en plein sur plusieurs écrits du respectable philosophe, les Libres Méditations, quoique rentrant dans sa même vue générale, échappent tout à fait au blâme, grâce à l’esprit de condescendance infinie et de mansuétude évangélique qui les a pénétrées. C’est une sorte de vestibule hospitalier, un peu nu, fort vaste, où aboutissent les diverses entrées du temple, et dans lequel sont assis ou prosternés les antiques Orientaux, les anachorètes du Gange, Thamyris et Confucius, Pythagore et Salomon, Marc-Aurèle et Nathan le Sage, et même l’auteur voilé de l’Imitation ; leur parole rare se distingue lentement sous l’orgue lointain des sanctuaires. Notre contemporain a raison de se donner après eux comme un nouvel interprète des maximes de la loi perpétuelle : les vérités, en passant par sa bouche, empruntent une autorité bien persuasive ; on apprécie mieux la suavité de ce baume, connaissant les amertumes anciennes d’où il l’a su tirer ; le solitaire des Rêveries, m’élevant avec lui vers Dieu, me transporte plus puissamment que Necker n’y réussirait tout d’abord. Il y a un chapitre sur l’Immortalité qui expose des conjectures dignes de Lessing dans la langue de Bernardin de Saint-Pierre. La forme littéraire et toute classique du développement, la lenteur égale de chaque paragraphe, se rapprochent beaucoup de la manière du moraliste Du Guet dans le traité si bien écrit et si peu lu de la Prière. Les retours indirects de l’auteur sur lui-même sont attachants et pleins d’inductions à tirer pour le lecteur averti. Je recommande ce qu’il dit de sa mère au chapitre des Fautes