Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

transformer en ordre légal le système de tyrannie qu’il avait adopté. Voyons ce qui en résulte pour moi. Premièrement Girard (l’imprimeur) sera obligé de déclarer qu’il se propose d’imprimer un livre sur l’institution des évêques, lequel formera tant de feuilles d’impression. 2o L’impression finie, et avant de commencer la vente, il faudra qu’il remette un exemplaire au directeur de la librairie. 3o Le premier venu, Tabaraud par exemple, peut former plainte devant un tribunal, et déférer le livre comme un libelle diffamatoire, auquel cas l’édition sera saisie en attendant jugement. Il n’est pas même bien clair que la saisie ne puisse pas avoir lieu, malgré le privilége de nos soixante-six feuilles, sous le prétexte que je remue des questions qui peuvent troubler la tranquillité publique. Ce serait bien pis, si je n’avais qu’un petit pamphlet de quatre cent quatre-vingts pages in-8o ; il n’y aurait pas moyen de se tirer d’affaire. Heureux celui qui vit de ses revenus, qui n’éprouve d’autre besoin que celui de digérer et de dormir, et savoure toute vérité dans le pâté de Reims que nul n’oserait censurer en sa présence ! J’ai bien peur que l’heureuse révolution ne se borne à l’échange d’un despotisme fort contre un despotisme faible. Si mes craintes se réalisent, mon parti est pris, et je quitte la France en secouant la poussière de mes pieds. » Le lendemain, il écrivait encore au même : « Je regrette bien de ne pouvoir savoir, avant de partir, ce que tu penses du projet, qui me paraît renfermer la plus vexatoire, la plus sotte, la plus