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impolitique et la plus odieuse de toutes les lois. N’as-tu pas admiré dans le discours de M. de Montesquiou comme quoi les Français ont trop d’esprit pour avoir besoin de dire ce qu’ils pensent ? Quelle ineptie et quelle impudence ! »

En 1815, pendant les Cent-Jours, M. de La Mennais se réfugia en Angleterre. Jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, il n’avait jamais voyagé, sauf quelques semaines qu’il passa à Paris, vers l’âge de quinze ans ; il y avait fait de plus longs séjours dans les dernières années. Parti pour l’Angleterre au dépourvu, il y manqua de ressources, et, sans l’aide de l’abbé Carron, également réfugié, avec lequel il lia connaissance, il n’aurait pu réussir à entrer comme maître d’étude dans une institution où il se présenta.

C’en est assez, je pense, pour bien marquer le point de départ et la continuité toute logique de la carrière chrétienne de M. de La Mennais, pour expliquer en lui certaines préoccupations qui choquent et le peu de ménagement de quelques sorties. Il n’a jamais vécu en effet de cette vie qui fut la nôtre, de cette atmosphère habituelle de philosophie et de révolution où plongea le siècle. Jamais la lecture de Diderot ne le mit en larmes et ne se lia dans sa jeune tête avec des rêves de vertu ; jamais les préceptes de d’Alembert sur la bienfaisance ne remplacèrent pour son cœur avide de charité l’Épître divine de saint Paul ; Brissot, Roland, les Girondins, ne lui parlèrent à aucune époque comme des frères aînés et des martyrs. Ses passions profanes eurent sans doute elles-mêmes un caractère d’autre-