Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/242

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jeter à la face son accent de conscience, son mot de vérité. Cette persécution du silence est la plus dure de toutes à porter, dit Pascal ; notre brûlant apôtre ne l’a pu jusqu’au bout subir. Nous n’avons pas à nous inquiéter ici du retentissement que doit avoir cet éclat de M. de La Mennais dans l’ordre purement ecclésiastique. Nous regretterions que les Paroles d’un Croyant n’y fussent pas acceptées ou tolérées, comme une de ces paroles libres de prêtre, qui ont toujours eu le droit de s’élever en sens contradictoire dans les crises sociales et politiques aux diverses époques. Sans rien espérer actuellement de Rome et de ce qui y règne, nous sommes trop chrétien et catholique, sinon de foi, du moins d’affinité et de désir, pour ne pas déplorer tout ce qui augmenterait l’anarchie apparente dans ce grand corps, déjà si compromis humainement. Mais en songeant à quelles intentions patriotiques et évangéliques a cédé M. de La Mennais, en considérant l’influence rapide que son livre va obtenir, influence à coup sûr moralisante en somme plutôt qu’irritante auprès des violents, nous ne pouvons que nous réjouir de son imprudence généreuse, si imprudence il y a, et l’en féliciter. Il est des entraînements dévoués, des témérités oublieuses d’elles-mêmes, qui enlèvent les cœurs. Quelque chose de martial et de chevaleresque sied aussi au prêtre chrétien. La belle âme, l’âme virginale de Pellico a pu tout pardonner, tout excuser, et bénir encore ; il s’en est revenu, après dix années de captivité féroce, comme un agneau tondu qui ne redemande pas sa laine. Je l’en admire et l’en révère ; mais il y a manière pourtant