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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

en même temps, sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain ait revêtu une pensée de poëte, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible[1].

  1. Dans un article inséré au Globe, le 20 juin 1830, lors de la publication des Harmonies, on lit : «… M. de Lamartine, par cela même qu’il range humblement sa poésie aux vérités de la tradition, qu’il voit et juge le monde et la vie suivant qu’on nous a appris dès l’enfance à les juger et à les voir, répond merveilleusement à la pensée de tous ceux qui ont gardé ces premières impressions, ou qui, les ayant rejetées plus tard, s’en souviennent encore avec un regret mêlé d’attendrissement. Il se trompe lorsqu’il dit dans sa préface que ses vers ne s’adressent qu’à un petit nombre. De toutes les poésies de nos jours, aucune n’est autant que la sienne selon le cœur des femmes, des jeunes filles, des hommes accessibles aux émotions pieuses et tendres. Sa morale est celle que nous savons : il nous répète avec un charme nouveau ce qu’on nous a dit mille fois, nous fait repasser avec de douces larmes ce que nous avons senti, et l’on est tout surpris en l’écoutant de s’entendre soi-même chanter ou gémir par la voix sublime d’un poëte. C’est une aimable beauté de cœur et de génie qui nous ravit et nous touche par toutes les images connues, par tous les sentiments éprouvés, par toutes les vérités lumineuses et éternelles. Cette manière de comprendre les diverses heures du jour, l’aube, le matin, le crépuscule, d’interpréter la couleur des nuages, le murmure des eaux, le bruissement des bois, nous était déjà obscurément familière avant que le poëte nous la rendit vivante par le souffle harmonieux de sa parole. Il dégage en nous, il ravive, il divinise ces empreintes chères à nos sens, et dont tant de fois s’est peinte notre prunelle, ces comparaisons presque innées, les premières qui se soient gravées dans le miroir de nos âmes. Nul effort, nulle réflexion pénible pour arriver où sa philosophie nous porte. Il nous prend où nous sommes, chemine quelque temps avec les plus simples, et ne s’élève que par les côtés où le cœur surtout peut s’élever. Ses idées sur l’Amour et la Beauté, sur la mort et l’autre vie, sont telles que chacun les pressent, les rêve