Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/315

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des générations vivantes, sans qu’il en rejaillisse du moins sur chacun une destinée immortelle. Lamartine est plus heureux que ces hommes, qui pourtant sont eux-mêmes de ceux qui espèrent ; il est plus complétement religieux qu’eux ; il croit aussi fermement aux fins générales de l’humanité, il croit en outre aux fins personnelles de chaque âme. Il n’immole aux vastes pressentiments qu’il nourrit ni l’ordre continu de la tradition, ni la croyance morale des siècles, le rapport intime et permanent de la créature à Dieu, l’humilité, la grâce, la prière, ces antiques aliments dont le rationalisme veut enfin sevrer l’humanité adulte. Sa suprême raison, à lui, n’est autre que l’éternel logos, le Verbe de Jean, incarné une fois et habitant perpétuellement parmi les hommes. Il ne conçoit les transformations de l’humanité, même la plus adulte, que sur le terrain de l’héritage du Christ, dans le champ sans limites, acheté et nommé de son sang, toujours en vue de la Croix, au pied de l’indéfectible mystère. — Tel nous apparaissait Lamartine, lorsqu’hier sa voile s’enflait vers l’Orient ; tel il nous reviendra bientôt, plus pénétré et plus affermi encore, après avoir touché le berceau sacré des grandes métamorphoses.

Octobre 1832.