Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/323

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rien d’exceptionnel, soit en idées, soit en sentiments ; mais, dans ce qui lui est commun avec tous, il s’élève, il idéalise. Il arrive ainsi qu’on le suit aisément, si haut qu’il aille, et que le moindre cœur tendre monte sans fatigue avec lui.

Jocelyn est donc l’enfant pieux de toutes les familles heureuses, le frère de toutes les jeunes filles. Il a vu sa sœur souffrir et pâlir au retour du bal du hameau ; il a entendu, caché derrière le feuillage, les timides aveux de Julie au sein de sa mère. Mais Julie est pauvre ; Ernest, qu’elle aime, a des parents exigeants. Jocelyn a tout compris, et il se décide au sacrifice. S’il entre dans l’Église, s’il renonce pour Julie à sa part du modique héritage, elle pourra épouser Ernest : il déclare donc sa vocation à sa famille, et, le cœur brisé, mais en triomphant de son trouble, mais heureux du bonheur d’Ernest et de Julie, il quitte le toit natal pour le petit séminaire.

Ce qui est vrai des sentiments de Lamartine ne l’est pas moins des aventures qu’ici il invente. Rien de bien cherché, rien de compliqué au premier abord. Dans les scènes qui vont suivre, on retrouvera des situations, la plupart connues, toujours faciles à combiner, et par ces moyens simples il obtiendra une attache croissante, il finira par atteindre au pathétique déchirant.

Là même où les situations deviendront extraordinaires, elles seront de celles que l’imagination accepte aisément, parce qu’elle est disposée, depuis d’Urfé, depuis Théocrite et bien avant, à les inventer ainsi dans ses rêves. Cette invraisemblance se trouve de la sorte