Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/339

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sévérité des habitudes catholiques, dans lesquelles l’amour humain chez le prêtre n’a point d’expression permise, n’ont pas laissé naître et grandir jusqu’à l’état de littérature ces instincts poétiques étouffés des pauvres clercs. Jocelyn est notre premier curé de campagne qui ait chanté[1].

Jocelyn, remarquons-le bien, chante, tant qu’il n’est pas tout à fait guéri encore ; il chante, tant que l’image de Laurence le trouble et continue de partager son cœur. Ce qu’il nous raconte, ou plutôt ce qu’il raconte à sa sœur et ce qu’il se rappelle à lui-même, ce n’est pas vieux et apaisé qu’il y revient ; depuis cette dernière maladie à laquelle il manque de succomber, peu après la mort de Laurence, le manuscrit cesse. Jocelyn guéri a vécu de longues années encore, et il s’est tu, ou du moins il n’a plus repassé ses douleurs. L’amitié du Botaniste a pu les ignorer jusqu’au moment où Marthe l’a aidé à retrouver ces papiers anciens qui n’étaient point destinés à survivre. La vraisemblance catholique du poëme est ainsi sauvée. Si, dans le Jocelyn que nous possédons, on aperçoit jusqu’à la fin quelque trait d’amour trop tendre, ce reste de faiblesse a dû être corrigé, durant les longues années suivantes, par cette vie toute pratique, de laquelle le Botaniste nous a dit :

  1. Voir pourtant sur Favre et Peyrot, deux curés du Midi qui ont écrit des poëmes en patois, la Revue de Paris du 26 novembre 1843. De ces deux beaux esprits languedociens, Peyrot est plus purement descriptif et champêtre : l’abbé Favre est plutôt un satirique de haut goût.