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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/380

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race, la tribu, la famille, la langue distincte, le contraire, en un mot, des dîners de l’ancienne Revue encyclopédique sous M. Jullien. N’importe ! voilà l’Humanité en personne, le Cosmopolitisme qui arrive dans les chants du poëte ; c’est un tiers un peu immense et qui engloutit tout.

Un grain de Voltaire manque depuis longtemps à nos poëtes lyriques, quelque chose comme le sentiment du rire ou du sourire. À deux pas du toast humanitaire où l’on pourrait craindre que le sentiment individuel ne se noyât, on rencontre une pièce qui a pour titre : À une jeune fille qui me demandait de mes cheveux. Ce singulier sujet, qui ne choquera peut-être que médiocrement, me suggère une réflexion qui doit s’appliquer bien moins à l’auteur qu’à tous les poëtes de ce temps-ci.

C’est que maintenant le poëte se livre en scène de la tête aux pieds : le contraire avait lieu du temps de Racine. Alors il n’y avait qu’un homme ou plutôt un demi-dieu, Louis XIV, le Roi, qui fût en scène de la tête aux pieds, et il y restait, il est vrai, depuis le lever jusqu’au coucher, dans toutes les situations les plus privées, depuis la chemise que lui présentaient ses gentilshommes, jusqu’à ses amours dans les bosquets que célébraient les peintres et que roucoulaient les chanteurs. La perruque était la seule pièce, dit-on, qui tînt bon contre le déshabillé ; personne ne l’avait jamais vu sans. Racine, au contraire, c’est-à-dire le poëte d’alors, dérobait chastement tout ce qui était de sa personne et de son domestique, pour n’offrir ses