Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/381

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sentiments même et ses larmes qu’à travers des créations idéales et sous des personnages enchantés. De nos jours, le Louis XIV est descendu partout ; chaque Racine s’habille et se déshabille devant le public : et la perruque elle-même, dont ne se séparait jamais le roi, n’est plus restée au poëte, puisqu’on lui demande de ses cheveux.

La conclusion de tout ceci est triste ; un grand trouble, en achevant ce volume et en repassant mes propres impressions, m’a saisi ; on doute de soi ; les notions du beau et du vrai se confondent : y a-t-il telle chose qu’un art, et n’est-ce pas chimère que d’y croire et de s’y dévouer ? Qui sait ? me disais-je, peut-être qu’après tout le grand poëte que voici n’a pas tort, et qu’en se donnant plus de peine, elle serait perdue. Sujets, style, composition et détail, il a raison peut-être de tout lâcher ainsi au courant de l’onde, satisfait de son flot puissant ; car la génération qui nous jugera n’est pas la génération qui déjà finit : ceux qui auront le dernier mot sur nos œuvres auront appris à lire dans nos fautes ; ils brouilleront un peu tout cela, et nos barbarismes même entreront avec le lait dans le plus tendre de leur langue.

Mais c’est trop douter ; la conscience aussi, en pareil cas, dit non et se soulève ; je reviens à la règle sûre, déjà posée : l’art, comme la morale, comme tous les genres de vérités, existe indépendamment du succès même.

Quant au génie poétique de M. de Lamartine, qui, malgré tant de déviations récentes, n’a jamais été plus