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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

nuage allait si bien sur un berceau. De nos jours, les poëtes ont beau faire, la réalité les tient de toutes parts et les envahit ; ils sont, bon gré, mal gré, un objet de publicité : on les coudoie, on les lithographie, on les lorgne à loisir, on a leur adresse dans l’almanach, et ce n’est qu’en vers que l’un d’entre eux a pu dire :

. . . . . . Ils passent, et le monde
Ne connaît rien d’eux que leur voix.


Donc, Victor-Marie Hugo naquit en 1802 (26 février), dans Besançon, vieille ville espagnole, de Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, colonel du régiment en garnison, et de Sophie Trébuchet, fille d’un armateur de Nantes ; d’un père soldat et d’une mère Vendéenne[1]. Chétif et moribond, il n’avait que six semaines quand le régiment dut quitter Besançon pour l’île d’Elbe. L’enfant l’y suivit et y demeura jusqu’à l’âge de trois ans. La première langue qu’il balbutia fut l’italien des îles ; la première nature qui se réfléchit dans sa prunelle fut cette âpre et sévère physionomie d’un lieu peu remarqué alors, désormais insigne. Cette jeune vie s’harmonisait déjà par des rapports anticipés et fortuits avec la grande destinée qu’elle devait célébrer un jour ; ce frêle écheveau invisible se mêlait déjà à la trame splendide, et courait obscurément au bas de la pourpre encore neuve dont plus tard il rehaussa le lambeau.

  1. On peut voir, à l’article Victor Hugo de la Biographie publiée par M. de. Boisjolin, quelques autres détails de famille et de généalogie qu’il a semblé superflu de reproduire ailleurs.