Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
392
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

ticulier. Un incident presque merveilleux, jeté au sein de cette vie de couvent, dut aussi influer beaucoup sur l’esprit et la gravité précoce de l’enfant poëte. Le général Lahorie, compromis en 1804 dans l’affaire de Moreau, était parvenu à se dérober aux poursuites en se cachant chez un ami. Il y tomba malade, et un jour qu’il avait entrevu quelque inquiétude sur la physionomie de son hôte, craignant de lui être un sujet de péril, et dans l’exaltation de la fièvre qui l’enflammait, il se fit transporter le soir même, sur un brancard, rue de Clichy, où Mme  Hugo logeait alors. Mme  Hugo, généreuse comme elle était, n’hésita pas à recueillir l’ami de son mari, et le garda deux ou trois jours. Sa fièvre passée, Lahorie put sortir et chercher une retraite plus sûre. En 1809, après bien des épreuves et des fuites hasardées, il revint frapper à la porte de Mme  Hugo ; mais cette fois la retraite était profonde, l’asile était sûr, et il y demeura. Il y demeura près de deux ans, caché à tous, vivant dans une petite chambre à l’extrémité d’un corps de logis désert. La plus douce occupation du guerrier philosophe, au milieu de cette inaction prolongée qui le dévorait, était de s’entretenir avec le jeune Victor, de le prendre sur ses genoux, de lui lire Polybe en français, s’appesantissant à plaisir sur les ruses et les machines de guerre, de lui faire expliquer Tacite en latin ; car l’intelligence robuste de l’enfant mordait déjà à cette forte nourriture. Un ancien prêtre marié, bon homme, M. de La Rivière, lui avait débrouillé, à lui et à ses frères, les premiers éléments, et la méthode libre du maître s’était laissée aller à