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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

il manquera à votre exil le triomphe que Platon accordait du moins aux poëtes, les palmes, les fanfares et la couronne de fleurs. » Victor Hugo ne connut Lamartine qu’un ou deux ans plus tard, en 1821, par l’intermédiaire de l’abbé de Rohan ; il voyait déjà M. de Bonald, surtout M. de La Mennais. M. de Chateaubriand, au moment où parut l’Ode sur la Mort du duc de Berry, l’ayant qualifié d’Enfant sublime[1], Victor Hugo, conduit par M. Agier, l’alla remercier, et il s’ensuivit une liaison de bienveillance d’une part, d’enthousiasme de l’autre, qui, durant quatre ou cinq ans, s’entretint très-vive et très-cultivée.

Un mot encore sur cette période du Conservateur littéraire, et sur les deux frères, Eugène et Victor, qui en étaient les rédacteurs assidus. L’un et l’autre jeunes, à peu près obscurs, livrés à des convictions ardentes, exagérées, plus hautes et plus en arrière que le présent ; avec un fonds d’ironie sérieuse et d’austère amertume, unique en de si fraîches âmes ; tous deux roidis contre le flot vulgaire, en révolte contre le torrent, le pied sur la médiocrité et la cohue ; examinant,

  1. Ce n’est point dans une note du Conservateur, comme je l’avais dit d’abord, que M. de Chateaubriand lui décerna cet éloge, c’était dans une conversation avec M. Agier, lequel au sortir de là n’eut rien de plus pressé que de le répéter à l’auteur et le consigna même publiquement dans un article de journal. Bien des années après, M. de Chateaubriand faisait la grimace quand on lui rappelait cette généreuse parole : il l’avait dite bien réellement, mais il avait acquis cette faculté, en vieillissant, de ne vouloir précisément se souvenir que de ce qui convenait à son humeur et à ses affections présentes.