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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

noms galants comme dans Clélie[1]. Le mépris pour la vulgarité libérale avait provoqué dans un coin cette quintessence. La chevalerie dorée, le joli Moyen-Âge de châtelaines, de pages et de marraines, le christianisme de chapelles et d’ermites, les pauvres orphelins, les petits mendiants faisaient fureur et se partageaient le fonds général des sujets, sans parler des innombrables mélancolies personnelles. Un écho de la sentimentalité de Mme de Staël y retentissait vaguement. Après le bel esprit, on avait le règne du beau cœur, comme l’a si bien dit l’un des plus spirituels témoins et acteurs de cette période. Le même a dit encore : « Ce poëte-là, une étoile ! dites plutôt une bougie[2]. » M. de Latouche, dans son piquant article de la Camaraderie, a mis sur le compte d’une société qui n’était plus celle-là beaucoup des travers qu’il avait remarqués lui-même, et peut-être excités pour sa part, durant le premier enivrement de la Muse. Le plus beau jour, ou plutôt le plus beau soir (car c’étaient des soirées) du petit monde poétique fut celui de la représentation de Clytemnestre, si digne à tant d’égards de son succès. Ici point de contestation, de luttes comme plus

  1. À l’une on disait Anna tout court, à l’autre Aglaé. Passe encore pour les hommes de s’appeler entre eux Alfred, Émile, Gaspard ou Jules. Un jour, Jules de Rességuier, le plus confit de tous en ces douceurs et qui les résumait précieusement en sa personne, s’y prenant de son plus doux grasseyement, s’avisa de demander à Victor qu’on appelât sa femme de son petit nom d’Adèle : le jeune et grave poëte s’y refusa.
  2. C’était Émile Deschamps, qui ne pouvait s’empêcher de dire cela de son ami Jules de Rességuier.