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VICTOR HUGO.

sortir du baptême de la cloche, l’homme et l’œuvre se ressemblent, la pureté du son répond à celle de l’instrument. Puis la vanité vient et raye, égratigne avec son poinçon aigu la surface jusque-là vierge ; puis l’impiété, l’impureté aux grossières images. Et cependant, quand l’instrument a été de bonne fonte, le timbre n’en est pas altéré ; dès qu’il vibre, il rend le même son pieux, plein, enivrant, qui étonne et scandalise presque celui qui l’a pu observer de près à l’état immobile. André Chénier, qui, je le crois bien, songeait en ce moment au poëte Le Brun, son ami, dont il ne pouvait concilier le talent et le caractère, s’écriait :

Ah ! j’atteste les cieux que j’ai voulu le croire,
J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire :
Mais non ; il n’est pas vrai que des cœurs excellents
Soient les seuls en effet où germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime
Et n’avoir, qu’un cœur faible, étroit, pusillanime,
Inhabile aux vertus qu’il sait si bien chanter,
Ne les imiter point et les faire imiter.

Ce qu’André Chénier avait exprimé sous une forme morale et philosophique, M. Hugo l’a revêtu d’une exacte et merveilleuse image. Il a figuré, dans un moule qui ne s’oubliera plus, ce don divin du talent, avec tout ce qu’il y entre à la fois de grandeur, de tristesse et de misère.

Non loin de cette haute et sombre poésie, on rencontre une toute petite pièce de huit vers sur Anacréon, que je ne puis laisser passer sans remarque. La voici :

Anacréon, poëte aux ondes érotiques,