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VICTOR HUGO.

que M. Hugo apprécie peu et qu’il heurte volontiers dans sa manière ; il se soucie médiocrement, j’imagine, de l’aimable simplicité des Grecs, de ce qu’eux-mêmes appelaient aphéleia, mot que le poëte Gray a traduit quelque part heureusement par tenuem illum Græcorum spiritum[1], qualité délicate et transparente qui décore chez eux depuis l’ode à la Cigale d’Anacréon jusqu’aux chastes douleurs de leur Antigone. M. Hugo, loin d’avoir en rien l’organisation grecque, est plutôt comme un Franc énergique et subtil, devenu vite habile et passé maître aux richesses latines de la décadence, un Goth revenu d’Espagne, qui s’est fait Romain, très-raffiné même en grammaire, savant au style du Bas-Empire et à toute l’ornementation byzantine[2].

Dans quelques vers écrits sur la première page d’un Pétrarque, M. Hugo a bien mieux apprécié l’auteur des sonnets et sa forme élégamment ciselée ; mais, par suite du défaut signalé tout à l’heure, il s’est glissé, dans les vingt-deux vers consacrés à la louange du

  1. Horace avait dit déjà : Spiritum graiæ tenuem camænæ. — C’est aussi le λεπτόν des Grecs.
  2. Voici une remarque qui rentre jusqu’à un certain point dans la mienne ; je l’emprunte à un critique suisse (ou français) que j’aime à citer : « Un écrivain de goût et modéré finirait admirablement plus d’un de ses paragraphes avec la phrase par laquelle Hugo commence les siens. Hugo, dans l’expression, rencontre le plus souvent ce qui est bien, ce qui est lumineux et éclatant, mais il part de là pour redoubler et pousser à l’exagéré, à l’éblouissant et à l’étonnant. Du Parthénon lui-même, il ne ferait que la première assise de sa Babel, En fait d’ordres grecs il entend surtout le cyclopéen. »