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GEORGE SAND.

voyage lointain qu’il fit à cette époque, la soumise Indiana fut mariée par son père à un ancien colonel français, le baron Delmare, alors négociant très-riche de Bourbon. Bientôt après, Indiana vint habiter la France avec son mari, et sir Ralph, libre de son côté par la mort de ses parents et celle de sa femme (car il s’était laissé marier également par soumission), les avait rejoints. Malgré l’humeur volontiers jalouse de M. Delmare, sir Ralph, dans sa loyale cordialité, s’était installé chez sa cousine, ou du moins y passait presque toute sa vie. M. Delmare avait fini par s’y faire. Il faut voir, dès la première scène du roman, ces trois personnes, ce petit monde, sans oublier le beau chien griffon Ophélia, par une pluvieuse soirée d’automne, dans le vaste salon du castel de Lagny. La triste Indiana s’ennuie comme toujours et garde le silence ; sir Ralph s’ennuie peut-être, mais on le dirait impassible sous son masque vermeil et fleuri. Le baron Delmare s’impatiente, tisonne, essaye d’être jaloux, chasse du salon la pauvre Ophélia pour avoir bâillé. Et pourtant le vent siffle, la pluie chasse ; Indiana frissonne, comme à l’approche d’une crise mystérieuse. Pressentiment ! silence ! attente ! le roman va commencer.

On saura qu’Indiana a amené de Bourbon avec elle une femme de chambre, ou plutôt une amie d’enfance qui ne l’a jamais quittée, une vraie créole, une vive et piquante Indienne, Noun. La belle Noun a fait sensation dans le pays, dans les bals champêtres du village voisin ; un jeune monsieur des environs, M. de Ramière, l’a vue, s’est mis en avant, a fait arriver ses