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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

role, dans des journaux, dans des livres de contes, dans de longs romans, sont en train de confesser leurs peines, de réclamer une part de destinée plus égale, et de plaider contre la société. Est-ce là un pur caprice sans importance, une mode passagère qui ne tient à aucune cause sérieuse et qui ne vise à aucun effet ? Est-ce un dernier écho perdu de la tentative saint-simonienne ? Cette tentative, qui a été si impuissante pour rien édifier, a eu le mérite de mettre à nu plusieurs plaies de l’ordre social ; on a mieux senti en particulier ce qu’avaient d’irrégulier et de livré au hasard la condition de la femme, son éducation d’abord, et plus tard dans le mariage son honneur et son bonheur. Les peintures que faisaient à ce sujet les prédicateurs saint-simoniens étaient sans doute excessives et ne tenaient nul compte de beaucoup des adoucissements de la réalité ; mais sur certains points, le trait n’était que juste, et bien des cœurs jusque-là muets et contenus y répondirent avec tressaillement. Aujourd’hui donc, de toutes parts, les femmes écrivent ; chacune a son secret, son roman douloureux à l’appui du plaidoyer d’émancipation, et chacune le livre. Ce ne sont plus seulement des femmes du monde et d’un rang distingué, comme on disait, qui se délassent de la sorte ; ici comme ailleurs il n’y a plus de rang, et la démocratie coule à pleins bords. De quelque manière qu’on veuille interpréter ces symptômes évidents, qu’on y voie, comme les plus illuminés semblent le croire, l’annonce de je ne sais quelle femme miraculeuse destinée à tout pacifier ; qu’on y voie simplement,