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GEORGE SAND.

dites fort bien, et traitez-le comme une chose sans importance. La seule pensée que j’y aie cherchée, c’est la confiance dans l’amour présentée comme une belle chose, et la butorderie de l’opinion comme une chose injuste et bête. — J’avais, comme vous l’avez très-bien aperçu, commencé cette histoire de Saint-Julien dans d’autres vues, et les deux corps se joignaient fort mal. Je l’ai donc retirée pour en faire le commencement d’une historiette toute rustique, et j’ai mis dans la bouche de mon secrétaire intime, dans le courant de son séjour à Monteregale, un récit de sa jeunesse où j’ai tâché de tracer son humeur d’une manière qui s’harmonie mieux avec la suite. Je ne suis pas de votre avis sur deux choses : d’abord l’amour que Quintilia devrait avoir, selon vous, pour lui ; ensuite l’indulgence qu’elle devrait avoir à la fin. Je crois que dans l’un et l’autre cas ce serait altérer le caractère étourdi, mais probe et ferme, que je veux donner à ma princesse. Seulement je profiterai encore de vos objections, qui sont bonnes par elles-mêmes : je me chargerai, moi conteur, ou bien quelqu’un de mes personnages, d’avouer au lecteur que la Cavalcanti n’est pas sans imprudence et sans tort. C’était bien là mon idée, en la montrant et si sage et si folle ; mais votre remarque me prouve que je ne l’ai pas assez expliquée. — Je ferai attention aussi, en corrigeant les épreuves, aux expressions louches et aux mauvaises constructions que vous m’avez signalées. Merci donc mille fois, mon ami, et pour vos avis utiles et pour la peine que vous avez prise pour m’obliger, et pour ce que vous me dites de Béranger. Tout cela me sera salutaire, et en outre il m’est bien doux de trouver en vous toujours le zèle et l’amitié que je réclame toujours avec confiance sans crainte d’être indiscrète. Moi, je ne vous rendrai jamais la pareille en avis judicieux et en critiques sages, mais au moins j’aurai la même affection et le même dévouement à votre service. Adieu, mon très-cher. Musset vous donne la main, et moi aussi de tout mon cœur. Portez-vous donc bien, et donnez-nous donc bientôt ce beau livre dont le commencement m’a charmée.

« T. à V. George. »


Tout ceci est antérieur au voyage d’Italie ; les confidences purement littéraires s’arrêtent là. Je ne donnerai plus que le billet suivant, écrit après le retour, après les orages, au terme des déchirements et à la veille d’un départ pour le Berri :