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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

« Mercredi.

« (Été de 1834.) Mon ami, je vous remercie de votre aimable envoi. Je vous offrirai Jacques, aussitôt que l’inflexible Buloz voudra bien m’en donner un exemplaire. Je ne vous ai pas vu, pour ainsi dire ; ces saints-simoniens se sont mis entre nous ; j’avais pourtant bien à vous parler. Je suis triste à la mort, et je ne sais pas vraiment si je sortirai de cette affreuse crise du sixième lustre. Venez me voir ce soir, si vous pouvez. Je vais partir : je veux vous dire adieu. Apportez-moi quelques bonnes paroles de consolation et d’amitié.

« À vous,
« George. »


J’ai beaucoup dit, je n’ai pourtant que laissé entrevoir la profondeur de cette crise du sixième lustre. C’en est assez pour aujourd’hui. Des années s’écoulèrent : notre amitié subit dans l’intervalle bien des interruptions, des silences, des intermittences, sans que jamais aucun tort réel d’un côté ou de l’autre y vînt porter une sérieuse atteinte. Il n’y eut que des éclipses, et qui étaient surtout dues à des interpositions étrangères. Dès le début de mes articles au Constitutionnel, en 1850, je saisis l’occasion de parler agréablement de George Sand, pour sa veine pastorale incontestée de la Mare au Diable, de la Petite Fadette, etc. (Causeries du Lundi, tome I) ; mais je reculai toujours devant une Étude complète où le critique n’eût plus été libre de choisir et où il n’aurait eu en face de lui que l’écrivain seul, et tout l’écrivain : la personne, à mes yeux, était bien supérieure et préférable. Aussi l’on ne s’étonnera point que Mme  Sand, ayant parlé de moi dans ses Mémoires d’une manière très-flatteuse et affectueuse, je lui aie écrit, pour la remercier, la lettre suivante, qui se rejoint bien aux confidences anciennes et qui résume mes sentiments :


« Ce 10 août 1855.

« Tout le monde me fait des compliments, tout le monde me félicite, et moi je ne sais, je m’étonne, je me dis en me considérant si bien peint et si flatté de la sorte : Est-ce donc moi ? étais-je